Protégeons nos artères !
« Protégeons nos artères ! ». Le slogan de la Journée mondiale du diabète 2021 n’a pas été choisi par hasard : un diabète mal équilibré augmente le risque de détériorer les vaisseaux sanguins avec, à la clé, une série de complications possibles. Une fatalité ? Pas forcément, assure le Pr Régis Radermecker, médecin diabétologue et Secrétaire Général de l’Association du Diabète.
On le sait : il a fallu la découverte de l’insuline, il y a 100 ans, pour modifier le destin de ceux et celles qui souffraient d’une maladie capable « de faire maigrir ceux qui en étaient atteints, leur donner tout le temps soif puis de les mener à la mort », ainsi que le résume le Pr Régis Radermecker. Des années plus tard, alors que la vie des personnes diabétiques était enfin prolongée grâce aux traitements, une autre évidence s’est alors imposée : elles étaient touchées par une série de complications pouvant mener à des maladies chroniques. Et les principales de ces complications étaient liées à des atteintes des vaisseaux sanguins…
« La persistance d’un taux élevé de glucose dans le sang abîme lentement la paroi de ces vaisseaux. Tant l’ancienneté du diabète que son éventuel mauvais équilibre augmentent le risque de complications. C’est d’ailleurs un Belge, Jean Pirard, qui l’a démontré scientifiquement après avoir étudié des milliers de malades », poursuit le diabétologue.
Pas de discrimination : petits et grands vaisseaux, mais aussi les fibres nerveuses, sont visés par un excès prolongé de glycémie dans le sang. Selon la taille des vaisseaux touchés, on parle donc de complications « microvasculaires » ou « macrovasculaires ». En tout cas, de la tête aux pieds, de nombreux organes sont potentiellement concernés, dont en particulier le cœur, le cerveau, les yeux, les reins et les membres inférieurs.
« L’atteinte des vaisseaux peut impacter différents organes, détaille le Pr Régis Radermecker. Même s’il existe des mécanismes communs, il reste encore pas mal d’inconnues à élucider quant aux différents processus amenant l’altération parfois irréversible. Cependant, tous ces mécanismes ont un point commun : ils agressent leurs parois (l’endothélium). Le fonctionnement des vaisseaux s’altère, et ils deviennent moins performants. De plus, s’il est présent, un autre facteur commun aggrave la situation : un excès de cholestérol. Le tabagisme, l’hypertension et la sédentarité majorent également les risques de maladies cardio-vasculaires. »
L’atteinte des vaisseaux ne touche pas nécessairement l’entièreté des organes impliqués. De plus, « il est rare qu’une seule complication se développe à la fois, précise le Pr Radermecker. Cependant, pour les reins, des personnes diabétiques bénéficient parfois d’une protection d’origine génétique. »
Un bilan qui change tout…
Ce constat global du risque de complications est-il une raison de baisser les bras ? Sûrement pas ! « Un bilan annuel est recommandé à toutes les personnes diabétiques, précisément afin de détecter l’apparition et la présence de complications : il est essentiel de tout vérifier et de le faire régulièrement », assure le Pr Radermecker. L’intérêt d’une telle démarche ? Prendre les problèmes (s’il y en a…) en charge, afin d’assurer la meilleure qualité de vie possible de la personne.
« L’analyse des résultats recueillis après les tests sanguins, d’urine, les contrôles ophtalmiques et cardiologiques vise à éviter ou à retarder les complications. Les informations collectées permettent d’adapter les traitements : ceux contre le diabète seront peut-être revus afin de mieux équilibrer ce dernier, et des thérapies seront initiées afin de limiter les conséquences des complications décelées. Lorsqu’elles sont déjà présentes, il n’y a pas de retour en arrière possible mais, ajoute le Pr Radermecker, dans de nombreux cas, on peut palier l’événement suivant et donc ralentir, sinon éviter, leur progression. »
Pour contourner le précipice…
Selon les vaisseaux touchés, les complications ont des effets variables selon les organes. Ainsi, pour le cœur, un essoufflement ou des douleurs peuvent apparaître. Ces symptômes précèdent parfois la survenue d’un infarctus ou une décompensation cardiaque potentiellement mortelle. Cependant, « une des spécificités de la maladie diabétique, c’est qu’elle est également capable de déclencher un infarctus non ressenti par la personne (mais détectée lors du bilan) », précise le diabétologue. De manière générale, 30 % des personnes diabétiques - donc près de 1 sur 3 - connaissent des problèmes cardiovasculaires au sens large. Elles sont confrontées à des infarctus de deux à quatre fois plus souvent que le reste de la population, et ces infarctus sont deux fois plus mortels chez elles.
De leurs côtés, les complications touchant aux artères du cerveau sont à l’origine d’accidents vasculaires cérébraux (AVC). « Leurs symptômes sont un signe d’urgence médicale absolue afin, grâce à la rapidité des traitements, de tenter d’éviter leurs séquelles : la paralysie et la mort », précise-t-il.
Le rétrécissement des gros vaisseaux des jambes risque de provoquer des douleurs mais, aussi, de boucher ces artères, avec un risque ultime d’amputation (des traitements et/ou une intervention chirurgicale visent à l’éviter). Lorsque le diabète abîme progressivement les nerfs des jambes et des pieds, des sensations de fourmillement, des douleurs (parfois fortes) mais aussi une perte de sensibilité sont à craindre. Lorsque la douleur n’est plus un signe d’appel, le risque d’avoir des blessures ou des ulcères non repérés et non soignés s’accroit. En cas d’infection, gangrène et d’amputation peuvent survenir.
Par ailleurs, les atteintes subies par les fibres nerveuses sont aussi à la source de neuropathies qui touchent les membres inférieurs, la pression sanguine et le cœur (les efforts deviennent plus difficiles), le système digestif (avec par exemple un ralentissement de la vidange de l’estomac, d’où de possibles vomissements après les repas). Les organes sexuels ou la vessie sont également concernés. Dans le monde, 26 % des personnes diabétiques connaissent une neuropathie diabétique douloureuse[i].
L’usure des petits vaisseaux provoque aussi d’importants dégâts au niveau des reins, dont le fonctionnement est alors moins efficace, avec le risque d’une insuffisance rénale chronique. Le traitement sera la mise sous dialyse ou, plus rarement, la transplantation rénale. Selon le Centre européen d’étude du diabète, le risque de voir des personnes diabétiques être dialysées est 9 fois supérieur au reste de la population. Aux Etats-Unis, 35 % des personnes diabétiques vivent avec une maladie rénale chronique…
Enfin, une des complications les plus fréquentes dues à un diabète mal équilibré se manifeste au niveau des yeux. La détérioration des petits vaisseaux de la rétine peut faire baisser progressivement la vision et/ou mener au développement d’un œdème maculaire. De plus, l’installation d’une rétinopathie diabétique (une atteinte de la rétine), lorsqu’elle n’est pas suivie et traitée, peut entraîner, au stade ultime, une cécité. Cette pathologie est la première cause de cécité avant l’âge de 65 ans… En France, on estime que 50 % des personnes diabétiques sont concernées par cette complication.
La voie de la raison
Décliner la liste des complications liées aux atteintes des vaisseaux par un diabète non équilibré ne vise pas à faire peur. « Dans un premier temps, il faut se battre pour éviter qu’elles surviennent, rappelle le Pr Régis Radermecker. Puis, si des complications sont détectées, il s’agit de mettre tous les atouts de son côté afin de ralentir leur progression. Chacun dispose d’un capital santé. L’objectif consiste à tout faire pour le conserver, comme on préserverait tout autre capital, y compris un capital d’amour. Actuellement, nous disposons d’outils pour dépister les complications mais, aussi, dans de nombreux cas, d’outils thérapeutiques pour y répondre et retarder l’évolution de ces complications. Ainsi, les avancées des traitements concernant les néphropathies (les maladies des reins), les maladies cardiaques ou celles de la rétine permettent de réduire leurs conséquences. » Pour les neuropathies, la prise en charge des douleurs peut être plus compliquée… mais les traitements évolueront sans doute à leur tour.
En attendant, un fond d’œil, un bilan sanguin et urinaire ainsi que cardiologique, puis l’examen du patient et l’écoute de ses plaintes guident les diabétologues lors du bilan annuel. Toutes les informations récoltées permettent d’agir de manière positive, dès que cela est nécessaire et sans laisser les maladies gagner du terrain. « Plus on détecte tôt, plus on peut être pro-actif », glisse le diabétologue. Décidément, le slogan de cette journée du diabète ne s’y trompe pas. Comme le dit le Pr Radermecker :
[i] Ce chiffre figure dans l’Atlas du diabète de la FID, 9è édition. 2019.
Ce qu'il faut retenir des complications vasculaires du diabète ?
- Un diabète ancien et/ou mal équilibré augmente le risque de complications vasculaires
- Ces complications concernent les petits et grands vaisseaux, ainsi que les fibres nerveuses
- L'atteinte des gros vaisseaux provoque des complications au niveau du coeur, du cerveau et des jambes
- Les dégradations subies par les fibres nerveuses sont à l'origine de neuropathies qui peuvent endommager les membres inférieurs, la pression sanguine, le coeur, le système digestif, les organes sexuels et la vessie.
- L'usure des petits vaisseaux engendre des dégâts au niveau des reins et des yeux
Comment éviter ou retarder ces complications ?
- Maintenir son diabète en équilibre et limiter les facteurs aggravants (excès de cholestérol, tabac, hypertension et sédentarité)
- Effectuer un bilan annuel comprennant un fond d'oeil et des examens sanguins, urinaires et cardiologiques pour dépister des éventuelles complications le plus tôt possible
- Si des complications sont détectées, ralentir leur progression à l'aide d'outils thérapeutique